10 questions à
Clara Le Fort

Journaliste, Auteur et Consultant / Numéro,
Les Echos Week-end Magazine,
Madame Figaro et Air France Madame

Racontez-nous votre parcours…

Rien ne me destinait à être journaliste : après une prépa puis l’ESCP, dont je sortais diplômée en Stratégie Internationale, le parcours classique aurait était le BCG… mais je n’avais aucune envie d’une vie corporate. Je me suis fixée un but en sortant de l’école : saisir la première offre qui se présentait à moi entre Paris, Londres et New-York. Contre toute attente, je suis devenue l’assistante d’un auteur de best. Bruno Danto, avec lequel j’avais fait un stage long, m’a alors rappelée pour monter Sport & Styles ; je suis devenue assistante de la rédaction et du rédacteur en chef ! Un an après, on nous confiait la rédaction de Vogue Homme. J’ai tout appris au sein du groupe Condé Nast ; au fil des ans, j’ai collaborais aux pages d’AD dès 2005, puis d’Air France Madame. Forte de ces années passés au cœur des rédactions, et bien souvent dans l’œil du cyclone, je suis devenue freelance. Aujourd’hui, j’ai une quinzaine de collaborations régulières en France et à travers le monde : elles regroupent Les Echos WE, NUMERO, Wallpaper*, les éditions étrangères de l’Officiel, etc.

Votre plus belle interview ?

Il y en a une qui m’a fondamentalement marquée : j’étais jeune et je partais rencontrer Jean Nouvel à la Colombe d’Or, à Saint Paul de Vence. Un lieu mythique pour interviewer un génie de l’architecture contemporaine. J’avais le trac et pas vraiment fermé l’œil de la nuit. Il finissait de déjeuner, sous un grand soleil ; il m’a tout simplement invité à sa table, et a poursuivi comme si de rien n’était, un verre de rouge à la main.

Votre plus beau souvenir de voyage de presse ?

Je trouve que, souvent, les voyages de presse manquent de perspective, de fond. Aller chercher l’info, la questionner, fait partie intégrale de notre métier. Je monte la plupart de mes voyages. Je me souviens être arrivée dans un lodge en Namibie qui m’a fait l’effet d’atterrir sur une autre planète : à Wolwedans, une série de dix suites construites sur une plateforme en bois, surplombant une vallée de dunes orangées. Arriver à destination, loin, au milieu de nulle part forme toujours des souvenirs uniques. Dernièrement, je suis partie en Patagonie chilienne découvrir le lodge et futur parc national pensés par feu Douglas Tompkins, fondateur de The North Face. Approcher la vision de ces grands hommes, permet de comprendre qu’il est urgent de préserver notre planète.

L’évènement que vous souhaiteriez couvrir avant la fin de votre carrière ?

L’attrait pour moi est davantage dans la découverte de la beauté de la planète que dans l’événement en lui-même. Il reste bon nombre de destinations sur ma liste, comme survoler les volcans du Kamchatka, à bord de vieux hélicoptères russes. La beauté de la terre me nourrit, dans les pas de mon père, grand géologue himalayiste. J’adorerais aller au Bhoutan où explorer ce royaume préservé, ou voir les églises catholiques en Ethiopie, comme englouties.

Présentez-nous une journée type…

Je me lève très tôt, vers quatre ou cinq heures du matin et dans un sommeil éveillé, j’écris. Pendant quatre heures j’écris, et je regarde le jour se lever. Avec la lumière du jour, je m’ouvre au monde et envoie mes premiers papiers. Les e-mails commencent à arriver, et la journée se poursuit dans l’échange. Le déjeuner est un vrai moment de pause, pour approfondir un sujet ou nourrir une amitié. Je choisis souvent le lieu, une cuisine de produits locaux, respectueux des saisons. L’après-midi : c’est le moment des rendez-vous, de la production, de préparer la suite, l’interview du lendemain. Entre mes rendez-vous, je marche, heureuse de voir la nuit arriver. Le soir, je ne fais jamais long feu et m’éclipse souvent la première des diners. A 22h, au plus tard, Lights Out !

Les valeurs qui vous guident au quotidien ?

Le respect. De l’autre, de l’humain, de la terre, de tout. Je pense que l’on vit dans une société où il n’y a pas/plus assez de respect. Je suis fondamentalement animée par l’écologie et le respect de la planète, non pas d’une manière altermondialiste ou revendicatrice, mais pragmatique, qui s’inscrit dans ces gestes que nous répétons tous les jours.

La personnalité qui vous inspire ?

Yvan Chouinard, le fondateur de Patagonia, Douglas Tompkins, le fondateur de The North Face, Rick Ridgeway, alpiniste et ami des deux précédents, aujourd’hui Vice-President for Sustainable Affairs chez Patagonia. Ces visionnaires essaient de repenser le système économique mondial ; ils essaient de rendre le futur vivable, viable et possible. Par exemple, « comment est-il possible que le tee-shirt le moins cher (0,99 euros) soit toujours celui qui exploite le plus (les enfants, les hommes et les ressources naturelles) », écrivent-ils dans un essai publié par The Harvard Business Review. J’admire les gens qui s’engagent.

Si vous n’aviez pas été journaliste…

Si j’avais eu tout l’argent du monde, j’aurais monté une fondation : j’ai toujours aimé partager, transmettre, faire connaître. Le travail d’une fondation est d’offrir une vision créative ou réfléchie du monde, de s’engager pour défendre ou soutenir le travail d’esprit libres.

Une passion ?

Aller loin. Loin dans la pensée, dans l’engagement, tant intellectuel que géographique. Car aller loin, c’est refuser ce qui a été abimé.

Un conseil à partager aux attachés de presse ?

Il est urgent de ralentir. Les attachées de presse qui font le mieux leur métier, n’essayent pas de pitcher tout leur fichier en quelques jours. Au contraire, elles se concentrent sur des sujets clés, en profondeur, identifient les bons angles et interlocuteurs. L’information n’est pas qu’un produit de consommation : celle qui marque les esprits est celle qui dure. Le travail bien fait demande du temps.