Racontez-nous votre parcours…
Je suis né sous Giscard et j’ai étudié à l’INALCO (Langues’O). J’ai passé un diplôme de Chinois et un doctorat de Coréen. Le sujet de ma thèse était le cinéma coréen. Au début des années 2000, le cinéma asiatique et notamment coréen a fait une percée en France. J’ai commencé à écrire dans la presse sur ce sujet. Puis un jour, Les Échos m’a proposé à brûle-pourpoint un reportage sur les jardins dans le Kent. Voilà comment j’ai débuté dans la presse tourisme, domaine qui m’était largement inconnu. Aujourd’hui je partage mon temps entre les rubriques culture (cinéma essentiellement) et tourisme ainsi que l’écriture de livres. Ce sont des modes d’expression différents, mais c’est pour moi le même métier : décrire ce que je vois le mieux possible.
L’évolution marquante de votre métier ces 5 dernières années…
Ce n’est pas un secret : la presse papier traverse de grosses difficultés. J’hésiterais à encourager un jeune à se lancer dans une voie aussi passionnante qu’incertaine et épuisante. Cependant, d’une certaine façon, il y a cinq ans la situation était encore pire. J’avais le sentiment qu’on avait baissé les bras. Les pages tourismes multipliaient des rubriques paresseuses et formatées type « 5 raisons d’aller à » ou les « 8 adresses » de telle ou telle personnalité dans telle ou telle capitale.
Aujourd’hui, l’économie de la presse papier n’est pas meilleure et l’emploi toujours aussi fragile. Cependant, j’ai l’impression qu’après avoir encaissé un sacré uppercut, le métier relève enfin les poings. On est en train de revenir sur ce type d’écriture en « puces ». Les rédactions, du moins celles avec lesquelles je travaille, reprennent confiance dans les lecteurs et dans la valeur de formats plus longs. Par ailleurs, le regain d’intérêt pour la « littérature de voyage » à travers des auteurs comme Sylvain Tesson ou Julien Blanc-Gras, participe indirectement à revaloriser ce type d’articles.
Un pays qui gagne à être plus connu ?
La France. Même si on y traverse un paquet de coins sinistrés par la crise, même si les mairies ont ravagé les périphéries à coups de grandes surfaces et de ronds-points, ce pays compte encore un nombre fabuleux de villes et de villages à découvrir… Et puis, des côtes Normandes à la Méditerranée, de l’Alsace au Pays Basque, de la Seine à la Dordogne, la France offre une stupéfiante variété de paysages pour une surface relativement petite. En outre, chaque coin parait marqué par l’histoire, l’art, la littérature, le cinéma etc. C’est aussi un pays où l’on fait souvent de belles rencontres, du moins hors-saison. Et je n’oublie pas les surprises culinaires. Sans renoncer à célébrer la belle diversité de notre planète, il est important d’apprendre à savourer la beauté qui se trouve à portée de main. Le seul problème c’est que pour nos lecteurs, il est souvent moins cher et aussi simple d’organiser des vacances aux caraïbes qu’à Belle Ile en mer.
Votre plus belle interview ?
J’ai fait de belles rencontres avec des artistes dans le cadre d’articles culturels. Cependant, j’ai écrit un article sur « Les aventuriers du Chocolat » en Belgique pour une rubrique tourisme. Les chocolatiers belges ont souvent des parcours extraordinaires. Je me souviens de Nicolas Vanaise, un ancien archéologue de Gand, spécialiste du Moyen-Orient, qui racontait ses voyages dans ses chocolats. Et puis de Bart Van Cauwenberghe, un génie qui tenait une chocolaterie sublime à Deinze, au bord d’une nationale, à côté d’un lupanar. Parmi ces chocolatiers cinglés et passionnés, j’ai adoré Dominique Persoone. Ce sorcier de Bruges avait créé une mousse au chocolat à l’hélium, qui n’était pas pratique à manger puisqu’elle s’envolait. Pour un diner d’anniversaire des Rolling Stones, il avait inventé un cacao à sniffer, grâce à un astucieux système de catapulte.
Quand je l’ai rencontré, il n’avait pas renoncé à concocter une praline capable de provoquer un orgasme. Il avait tatoué sur son biceps « chocolate is rock’n’roll ». Son labo était décoré de machettes, souvenirs de ses expéditions à la recherche de fèves rares en Amérique du Sud. Je voyais dans ces chocolatiers les héritiers des baroudeurs belges que j’ai toujours admirés : Adrien de Gerlache, Alexandra David-Néel, Simon Leys… Tintin.
L’évènement que vous souhaiteriez couvrir avant la fin de votre carrière ?
La prochaine grande innovation sera le tourisme spatial. Je rêverais d’un reportage dans l’espace. J’y ai cru. Hélas, je pense aujourd’hui que je n’aurais plus l’âge lorsque l’occasion se présentera… mais on ne sait jamais. Voilà pourquoi je me suis mis à la plongée sous-marine. C’est l’occasion de découvrir d’autres mondes, de renouveler mes sujets et d’avoir un autre point de vue sur les destinations. J’aimerais à l’avenir progresser dans ce domaine et trouver une forme d’écriture qui lui convienne. Mais les possibilités d’interviews sont un peu limitées…
Votre formule préférée de présentation à la presse ?
Très franchement, la meilleure façon de me présenter une destination ou un projet c’est de m’en parler devant un café, un thé ou ce que vous voulez… en vous demandant avant si le sujet est susceptible de m’intéresser. Le sujet proposé « clé en main » à des dizaines de collègues donne rarement de bons papiers. Il faut qu’on discute, qu’on échange sur la destination, pour que je puisse éventuellement me l’approprier, faire ma salade avec vos ingrédients. Il y a mille façons d’aborder une destination. Avant même d’écrire, mon travail consiste à trouver celle qui corresponde au désir des lecteurs, à mes capacités, aux attentes des rédactions qui m’emploient.
Un conseil à partager aux attachés de presse ?
Depuis quelques années, les attachés de presse se montrent plus créatifs et ouverts à des sujets « sur mesure ». Il faut résolument poursuivre dans cette direction. On sait tous que les touristes sont devenus plus autonomes : ils réservent leurs billets d’avion, leurs logements, ils partagent leurs bons plans sur les réseaux. C’était la base de la « culture back-packer » qui a germé dans les années 70 et dont j’ai connu les derniers feux : les routards se croisaient dans des auberges et se racontaient devant une pression d’où ils venaient, ce qu’ils avaient vu etc. Le lendemain chacun partait de son côté. Avec Internet, cette culture a pris une dimension stratosphérique et s’est étendue à pratiquement tous les styles de voyages.
Parallèlement, de plus en plus de gens se sont mis à voyager. Il devient compliqué de surprendre le lecteur en lui proposant des destinations inexplorées. Aujourd’hui on ne peut plus l’aimanter en l’informant sur la façon d’accéder à un endroit lointain, de s’y loger etc. Dérouler une liste d’adresses et d’activités ne suffit plus. Mon article doit impérativement offrir une vision différente ou inédite d’une ville ou d’un pays dont le lecteur a déjà entendu parler et qu’il a même de fortes chances d’avoir déjà visité. Je pense qu’il faut convaincre vos clients que c’est ce type d’articles personnels qui doit être encouragé, sur le papier comme sur les blogs. Cela représente beaucoup plus de travail qu’auparavant. Mais le résultat est aussi plus gratifiant.
Les thématiques qui attisent le plus votre curiosité ?
Toutes les thématiques attisent ma curiosité mais ce qui est important, c’est qu’il y ait une histoire et des gens derrière chaque lieu. Un endroit ensoleillé, où on peut nager dans l’eau bleue, manger des langoustes, se reposer en écoutant le vent dans les palmes etc. me donnera certainement envie de partir en vacances mais pas d’écrire un article. Seul un romancier ou un poète peut se lancer dans un texte purement descriptif ou impressionniste. Un journaliste n’a pas cette vocation. Il faut donc que le lieu que je visite me raconte une histoire, qu’il ait un passé, des légendes, et que sur place des monuments et des habitants soient là pour l’incarner.
La personnalité qui vous inspire ?
Corto Maltese.
Un livre préféré ?
Il y en a beaucoup mais au niveau de l’écriture de voyage rien n’égale pour moi les poésies de Blaise Cendrars. Le recueil « Du monde entier au cœur du monde » (nrf Poésie/Gallimard) reste un manuel inépuisable pour qui veut apprendre à décrire un lieu, une atmosphère, en quelques phrases bien affutées. D’ailleurs Cendrars a aussi travaillé pour les rubriques tourisme dans la presse.
Enfin, j’adorerais pouvoir un jour conclure un article à sa façon :
Les sacs vont vont et vont sur les monte-charge continus
Jet tombent à fond de cale comme les porcs gonflés de Chicago
J’en ai marre
Je vais me coucher